samedi 18 janvier 2014

Entrevue CANZ


Entrevue étalée via mails sur plusieurs mois avec le patron du bomb-shop CANZ, à Lens, dans le département numéro 62...




Mercato de graffeurs, release party de nouvelles couleurs, collections-capsules ultra-limitées, lignes discount, prix sans cesse augmentés, etc. 

Quel regard portes-tu sur l'industrie de la peinture? 

D'un point de vue général, l'industrie de la peinture en aérosol est un bordel sans nom.

D'une part tu as les bombes de la multinationale allemande déclinées en un milliard d'étiquettes différentes(toutes aussi débiles les unes que les autres) dans tous les pays, ce qui te laisse penser que le marché est vaste. Tout cela dans 3 formules : pisseuse, moins pisseuse et dope. Pour la dernière, ça représente un dixième de ce que tu diggues en fin de série. Dans l'ensemble ça reste correct mais ça n'intéresse personne et on te dit que c'est de la flotte, à part si tu créés ton propre label graffiti et que tu poses ton étiquette dessus, là uniquement, ça devient la bombe du siècle. D'autre part les Krylon du Nord que tu as toutes raflées manquent beaucoup. On a parfois de la Multona(catégorie dope) pour se consoler mais ça devient de plus en plus rare. On se console à la vert pisse Comus. Au final les constructeurs et producteurs de peinture se comptent sur les doigts de la main.

En ce qui concerne le graffiti, on observe le même phénomène. De nouvelles marques apparaissent mais ça sort des mêmes cuves au final. C'est malin car ça donne l'impression d'avoir une offre concurentielle et permet d'écouler les hauts et fonds de cuves : un gros business qui dépasse l'entendement d'un petit shop comme Canz. C'est aussi je pense pour calmer les gens qui commençaient à se douter de quelque chose sur le verrouillage des deux marques graffiti (Sisi les deux marques portant le même nom initialement) un peu partout. Ils peuvent donc habilement tirer vers le bas les prix des petites nouvelles en continuant l'augmentation des têtes de listes. C'est là que Canz intervient, on implante de nouveaux produits sortis d'ailleurs et on casse les prix, sans parachute de secours sous forme de marques bien implantées. Marche ou crève. Et derrière on nous sort des fameuses lignes discount avec du 300ml dans une boîte 400ml en espérant contrer les indépendants comme moi. C'est beau ! Et ça marche !

Comme tu le vois il faut suivre, je m'y perds facilement alors que c'est mon métier, imagine pour les gens qui n'y prêtent pas forcément attention, ils préfèrent garder par sécurité leurs anciennes habitudes.

Dans le graffiti, les bombes de peinture devraient avoir un aspect générique et ne pas être conçues sous forme de label pour le graffiti. Les gens pourraient ainsi prendre le plaisir d'en détourner l'usage. Le mec qui veut faire ça avec une ligne complète de couleurs sans passer de la fin de série, à moins de 10 balles la bombe, il peut se brossser. A défaut, je travaille avec des marques qui me permettent de rester libre et de proposer une solution alternative aux homies.

Quelque chose du quotidien qui résumerait bien l'évolution du cartel de la canette depuis 10 ans : on passe nos journées à répondre aux visiteurs qu'on a pas de Mont***…

Je sais que tu étais parti avec un moral au beau fixe, pensant ''rendre service'' aux graffeurs, à quel niveau se situe-t'il aujourd'hui?(si t'en as encore un!)

Lens, l'Artois, le 59/62 en général, on est pas gâtés niveau pécuniaire. Tu peux pas débarquer, ouvrir un shop, avec des bombes à plus de 3,50€ et espérer faire des heureux. Il faut proposer du concept, de la nouveauté, une bonne combine comme on sait le faire dans Ch'Nord. Certains doivent s'en rappeler à la base je devais sortir ma propre spray la "Gong". Le shop ne devait tourner qu'avec ça. En attendant j'ai pris une bonne quantité de Ironlak pour lancer le shop, je ne savais même pas ce que c'était. Superbe surprise des bombes pas chères et du "tout au fat" facile. J'ai préféré rester là-dessus pour commencer. Et puis tu m'as conseillé et mis en relation avec une espèce de fou furieux de la spray qui te proposait en 2010 encore de bonnes occases notamment les 150ml à 1€ prix de revente et de la 400ml schrot environ 2-2,50€. J'me suis dit ça y'est on va tout péter avec tout ce qu'on a.

Le truc c'est que je me suis calqué sur un modèle "métropole" à base de beaucoup de tags, de throw-ups, chromes à l'arrache alors que dans le 62 on taggue peu, on fait des pièces et je n'avais que de la bombe idéale pour du fat et du cap d'o.

Du coup j'ai voulu faire "plaisir", j'ai mis de la Molotow Premium pour dépanner au début à prix pété juste pour avoir plus de choix. 3,40 la Premium au shop tu peux pas test', tout le monde était super content. Sauf que je ne vendais plus que ça au bout d'un moment, je me suis pris au piège dans un souci de satisfaction de tous. L'ennui c'était que j'me faisais pas de quoi juste payer le loyer et les charges avec ces marges dérisoires. Et de l'autre côté du comptoir j'étais harcelé, les concurrents qui vendaient de la Molotow m'appelaient, genre le client lambda t'sais. Et me demandaient au shop le prix d'la Molotow. Puis ils allaient chouiner chez Molotow qui me rappelait ensuite parce que je ne respectais pas le prix public de 3,85. T'imagine j'étais obligé de mettre la bombe à ce prix sur le site pour faire semblant, interdiction de faire rêver les petits et faire trembler les gros. Un concurrent m'a même envoyé des mecs à un moment pour voir si au shop je continuais mes conneries. Sans parler des menaces...Je t'avoue que c'était bien marrant à faire, malheureusement j'ai failli déposer le bilan à la fin, suite à un cafouillage où le comptable n'avait pas grillé que j'étais en train de me mutiler avec cette action.

Aujourd'hui j'ai un local trois fois plus petit, je fais tout depuis un an pour remonter la pente, ce que je suis en train de faire est toujours dans le concept initial de proximité et prix corrects. Et tout cela grâce a STORM, qui a intercédé pour moi chez Ironlak pour qu'on puisse sauvez Canz, et ces mecs m'ont vraiment aidé à me remettre en place en me proposant une sorte de plan de redressement maison sur mesure. Je ne l'oublierais jamais.

Par contre beaucoup de gens qui ont joui de la Molotow pas cher, on les a revu une fois lorsque j'ai tout bradé avant de partir de l'ancien et puis plus de son plus d'image. On a des échos de certains aujourd'hui qui ne viennent plus prendre mes sprays parce qu'ils n'ont toujours pas compris qu'il faut les secouer et qu'au fat on fait les mêmes traits qu'au skinny, le bouchage de caps en moins. Néanmoins quand il y a une action spéciale Ironlak 2,5 euros une fois ils réapparaissent.

Le concept des shop indé c'est comme le rap, tout le monde dit faut être underground et soutenir mais en vrai tout le monde écoute du commercial en scred. Tu sais genre on te dit c'est bien ce que tu fais, mais par contre tu comprends moi j'ai besoin de haut de gamme pour mon taff. Quand il y a plus de noir ou blanc à Lille je suis là pour dépanner ceux-là.

Par contre en toute sincérité, ceux que je vois au shop régulièrement sont vraiment bien, tous ces jeunes qui passent on sent la passion qui les anime, même si ce n'est pas la même génération c'est beau à voir. Les petites équipes qui se montent, les anciens qui passent me voir, ceux qui préparent un gros mur, ça reste toujours intéressant, je me donne au max pour eux. Je monte aussi à Lille de temps en temps, ce qui est bien c'est que tout le monde fait des gueutas et y'a quand même de l'émulation, les gens sont cool aussi. Et puis avec les nouvelles formules Ironlak on a un plus gros fat et un skinny plus précis comme ça tout le monde est content.

La grosse désillusion est la fin de série, j'invite vraiment tout le monde à sortir du modèle consumériste que les médias graffiti(souvent gérés par des proprios de shop) imposent.

Avec des bombes bas prix, métallisées, même si ça ne couvre pas on peut faire des pièces formidables et qui restent en mémoire. On peux s'en sortir pour 3€, pour une pièce complète, ou plus de 75 tags au cap d'o. C'est une chance d'en avoir en plus des Irons, sans déconner Canz est un shop soupape le jour où on disparait les prix vont flamber!

Coma Sound Kartel, Five Boroughs, c'était pareil, les mecs venaient pour dix skinnys en dépannage mais commandaient chez Polymex! Alors que c'était la Mairie de Lille qui payait...et qu'les mecs avaient pas besoin de leur mettre une banane pour se faire un stock "vandale" vu qu'ils ne peignaient pas dans la rue.

J'ai vendu assez longtemps des sprays, bien plus qualitatives que les MTN, à deux euros, à toute la scène lilloise, et les mecs se plaignaient. "Ma chrome est bouchée", "le violet il passe mal", "vas-y fais un prix", etc. 

J'pense que quand on est dans le graffiti on croit être dans un monde à part, avec des gens qui réflechissent, subversifs, mais c'est exactement à l'image de la société, des égoïstes, des corrompus, etc.

Les gens n'ont aucune idée de pourquoi ils font du graffiti. Il n'y a qu'à voir leurs "styles", aucune personnalité, on suit la tendance, au gré des modes, et on change, on change, sans aucune ligne directrice.

Que penses-tu de l'évolution des 5 dernières années, toi qui es d'un côté qui ne te permet pas forcément de juger, sous peine de perdre de la clientèle?

Je suis assez proche avec ceux qui viennent au shop pour dire ce que je pense sans en subir de conséquences.

J’ai un gros problème avec ce qui se fait depuis 6-7 ans, et je suis bien placé pour en parler parce que je me met dans le lot des incriminés. Je ne retrouve pas le graffiti que j’ai aimé du 62, tu sais genre les SPEAR, les KORE, SYONE etc. qui torturent la lettre en gardant une homogénéité, une simplicité et une propreté déconcertante, un peu comme SLEEK, PAGE, APSÉ, KEYZ…vers chez toi. Et toujours un tag qui ne vient pas tout gâcher et au contraire sublime le truc. On sentait vraiment que la ramette de papier avait pris cher, j’ai toujours trouvé ça beaucoup plus impressionnant que du wild ou de la 3d, de la peinture en lettre optimisée, version rue. J’ai toujours été incapable de suivre cette rigueur, mais je ne  cache pas ce laxisme derrière des effets ou du « Horphéen » ou le style chelou que tout le monde fait avec des lettres sans phases à base de triangles. Plus tu avances, plus tu en reviens aux lettrages bâtons, c’est comme si ils t’appelaient vers le minimalisme.

Ces grosses pointures on les voit encore mais dans des terrains ou events et du coup peu de relève pour perpétuer activement le truc. Le reste(3d, wild too much, réalisme) les gens savent que ça ne m’interpelle pas, c’est joli visuellement mais ça ne me fait pas autant vibrer qu’un lettrage tout bidon même mal fait. J’aime bien quand même de temps en temps faire des fresques avec les gens qui passent au shop histoire déjà de peindre un peu et puis de passer de bons moments. Niveau mental la scène 62 est cool, beaucoup de Lillois me vannent en général avec des allusions selon lesquelles on est des cassos vers Lens, tu sais d’un air un peu agaçant et hautain, ils ne savent pas ce qui est bien, ici les jeunes s’y mettent, on rigole au shop, on passe pas notre temps à faire la gueule. C’est ça !

Un autre phénomène depuis 2 ans, c’est la dèche générale ! Même le puriste qui choure ses sprays ne peut plus bouger vu le tarot à la pompe. Surtout dans le 62, pas de métro, pas de tram, faut prendre la voiture ! Parce que péter les rues de ton patelin ça va bien deux jours, après t’es wanted pour rien. Je vois des gens qui sont frustrés de ne pas pouvoir se bouger et qui ne bouclent pas les fins de mois. Là ça sent le roussi. On ressent que la notion d’équipe n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui pour pouvoir se bouger. Et dans ce cadre là je rejoins sur ce que tu dis, pourquoi continuer à se faire arnaquer pour une histoire de millimètres sur un trait au skinny alors qu’on peut en profiter juste à côté. Sérieusement vous pouvez rentrer dans le shop en disant Canz c’est de la merde j’aurai encore le smile, pour vous dire a quel point je suis déter’. Cet après midi encore un mec qui venait pour la première fois au shop, m’a dit que c’est la première fois qu’on lui parle bien dans un bomb-shop. Ce qui m’agace ce sont les hypocrites qui me disent à Lille ils me parlent comme de la merde et qui traitent le mec, et puis qui y retournent au final juste par peur de faire un graff moins bien avec mes sprays. Je trouve ça égoïste oui et aussi contre productif. Accepter d’être traité comme un moins que rien pour une bombe c’est chaud. Quand on va dans un resto et que le service est pourri on ne revient plus. Y’a un véritable culte voué à cette marque. Le pire c’est que je compatis aussi pour les vendeurs. Dans ce genre de succursale de toute façon, ils peuvent même mettre un mec peace & love, deux mois après il est aigri. Les vendeurs je les plains, ils ne sont pas épanouis là-dedans et ça se voit, si je pouvais je les prendrais chez Canz heyhey!

C’est ouf la première fois que je t’ai rencontré tu m’a ramené de la Spray-Set et des Sabotaz pour mon usage perso j’étais fresh. Bon t’as essayé de me refourguer de la Silver Beige aussi mais j’ai eu un pressentiment !

Attend j’ai pas fini la réponse !!!

Sinon dans les 3-4 dernières années ce que j’ai préféré c’est JIEM, CUYT, DAVE. J’aime bien revoir un flop de SYONE. FH aussi avec de plus en plus de fun. SKARE et DEKON un peu plus vers le sud. Et bien sur tous les jeunes qui s’y mettent dans le coin, j’en vois beaucoup progresser dans le bon sens. Et vraiment du côté de Lille, je trouve que même si on râle, c’est le baromètre du level Français avec Paname. Y’a de vrais tagueurs, des équipes de chocs et la Belgique et la Hollande pas loin pour varier les influences. Ajoute à tout ça un patrimoine populaire et tu obtiens la meilleure région de France. J’aime ma région, j’aime Lens. (parle moi de Lens !!!)

Ah j'attends alors. Mais t'sais la Silver Beige elle est mortelle, faut juste attendre qu'elle sèche!

J'ai du mal à te rejoindre sur Lille comme place importante du graffiti français...franchement même le Nord...plus personne peint...

Je crois que c’est le cas un peu partout. Sur la VPC on a beaucoup de clients qui soutiennent depuis le début. Dis toi que je n’avais même pas encore ouvert le shop ni fait de coms que des mecs avaient trouvé le site sur gogole et commandé. Les mêmes m’appellent aujourd’hui genre « mec j’suis en queuqueu ma CB passe pas ». 2014 je crois qu’ils peuvent fermer Stop’Graff, la crise va faire le travail gratos à leur place. Si y’a plus de taff, venez donc à Lens les loyers sont abordables au moins et vous pourrez tagguer pas cher!

La silver Beige j’en ai 8 cartons si t’es chaud hahah

Oui mais Lens comme tu dis, tu vides une Auto-K et t'es direct tête de réseau sur la wanted-list du commissariat local...

J'dois recevoir un magazine berlinois là, Auri Sacra Fames, 236 pages, qualité allemande à tous les niveaux, j'ai l'impression qu'il y a un magazine (et pas de 20 pages) et une vidéo de 2h chaque semaine, qu'est-ce qui fait qu'il y a une telle excellence et une telle effusion en Allemagne à ton avis? 

Récemment il y avait un film documentaire sur Arte This ain't California avec vrais et fausses images entremêlées sur fond d'histoire vraie . On voyait des jeunes de la RDA se faire chier comme pas possible avec interdiction formelle de tout. Ils invitaient leurs potes de RFA à venir skater de l'autre côté. Les mecs avaient la Stasi au fesses en permanence.

On comprend bien la soif de fun et d'émulation de toute cette jeunesse qui après la chute du Mur a dû laisser le champ libre à toutes les folies possibles et inimaginables. On dit souvent que les Allemands savent faire la fête, ils rattrapent peut être le temps perdu.  

Ce qui est certain c'est qu'ils ne font pas les choses à moitié, en payant les bombes 4 punchs avec des salaires plus bas. Ils sont instoppables, en Interrail j'ai croisé une équipe avec qui j'ai discuté vite fait. Les mecs tagguaient devant tout le monde, ils s'accrochaient à l'extérieur de la rame pas une minute de répit, de la productivité. Et les mecs te lâchent plus : "Où tu descends?", "Viens on peind?", "Sérieux t'as un shop en France, donne ton num on va passer", "après t'es chaud?", "signe mon book, tiens un marker". Dix minutes avec eux t'es crevé.

Dans les autres pays aussi quand tu regardes par exemple au Pays-Bas, le fameux Kroonjuwelen, ça fait rêver.

En France dès le départ ça a été réglementé, calqué, puis instrumentalisé. Limite bientôt va falloir s'inscire au graffiti et signer une décharge et un règlement(avec obligation de faire la gueule et interdiction d'avoir une once de plaisir). L'autre fois j'avais lu dans Auto-Plus dans la salle d'attente du contrôle technique un article qui expliquait pourquoi en France on faisait des bagnoles ringardes. Ça expliquait que les Allemands aimaient justement la conduite, l'impact visuel de leurs caisses tandis que le Français préfère la sécurité, sa petite bulle. En fait ça rejoint ce que je disais sur le choix de ses sprays. Ils sont forts ces Allemands quand même…

Belle anecdote Auto-Plus! Mais c'est vrai qu'une Porsche, une Volkswagen, une BMW, une Audi, une Mercedes(même si j'aime beaucoup moins Mercedes), ça a quand même plus de gueule qu'une AX ou une Mégane...même si récemment, ce côté allemand, nerveux, robuste, commence à arriver dans certaines Citroën ou Renault, dans la carrosserie néammoins, après les moteurs j'y connais rien.

Comme tu dis j'pense que la privation amène forcément du bon, même s'il doit y avoir quantité de toys et que tout ne doit pas être si chrome(si rose/si chrome, ah ah), j'ai encore vu un teaser là, Damagers, pffffffffiouuuuu ça envoie encore du missile nucléaire. Un whole-car BAD ça vaut tout c'que j'ai vu en France depuis 5 ans.

Tu parles de documentaires, ça me fait penser à la série Summer of Soul d'Arte(que je n'ai regardé que brièvement tellement c'était bas-d'gamme), et à toute cette mode 90's qui revient aussi depuis un an, dans les fringues, les baskets, les coupes de cheveux...même dans la danse, tout est pompé sur le boogaloo, le funk, ça me débecte, ils n'ont pas compris qu'ils n'avaient pas le background ni la rage, l'Amour tout simplement, pour cette musique.

C'est bizarre mais moi à 15 ans j'm'habillais pas comme James Brown ou Michel Delpech. J'phantasmais pas sur Stalingrad non plus, j'vivais mon époque. 

Était-elle bénite?

Touche pas à mes années 90!  C'est marrant que tu dises ça. Beaucoup de mecs a peine plus agés que toi pissent sur cette décennie. En ce moment il passent un truc sur la génération Y, à c’qui parait on aurait vécu et grandi en dehors des conflits du coup on en aurait rien à péter de tout. 

C'est notre âge d'or, on s'habillait même plus, on posait des vêtements sur notre peau, des dégaines de nimporte quoi. "Pas d'style rien à battre" comme dirait l'autre. En même temps sortir en potes n'était pas encore aussi cher que de s'acheter des sapes. Du coup on s'amusait. Les mecs pensent imiter les années 90 en achetant des trucs que personne ne mettait vu qu'on s'en payait pas. J'avoue que c'est cool de pouvoir se payer une paire de pompes qui nous a fait un peu saliver quand on était jeune, mais sans plus. S'ils remettaient le cinéma à 10 francs(1,50€ quoi) je rends mes air Max !

Et qu'est-ce que tu penses de tout le marketing autour des sprays alors? Est-ce que concrètement quelque chose change dans les formulations?

Le marketing si c’est bien pensé, ça peut être génial comme des affiches et dépliants Krylon par exemple. On aime tous les goodies. (j’essaie de te prendre par les sentiments). 

De là à sortir des sprays collector à 20 balles c’est vraiment prendre les gens pour des guignols. Chez moi la collector se paye un euros de plus que la normale, le coût de la sérigraphie répercuté quoi, ça reste honnête et puis on peut peindre avec pour dépanner. Après c’est abusé les réchauffe-bière, les décapsuleurs, les portes-badges et tout l’attirail de l’alcoolique marqué Ironlak, j’ai l’impression de faire des campagnes pro-dépravés.

J’aime beaucoup le concept de faire des vidéos et de bons murs, dans le graff c’est la meilleur comm’. Récemment tu vois la vidéo infinite avec SOFLES c’est quand même du bon taff, ça donne envie de trouver une vieille usine et de tout peindre. Voila pourquoi j’ai proposé à Ironlak de réaliser une série de vidéos sponsorisées avec les dudes de la région, avec murs, interviews, de l’histoire, du patrimoine. 

Partager tout ça sur les sites Australiens avec des sous-titres en Anglais. On va leur montrer !
Il y aussi le concept d’envoyer un mec de la team visiter le shop de temps en temps, en invitant mes clients à peindre c’est quand même énorme. En plus pas besoin de dérouler le tapis rouge les bonhommes sont plus que humbles.

Le deal des nouvelles formules on en bouffe depuis quelques années. La vérité c’est qu’un ouragan qui s’appelle le protocole Reach et qui est très important fait sa loi. Il vise à réguler d’ici quelques années tous les produits chimiques. Le truc c’est que les bombes de graffiti d’avant étaient pas du tout aux normes. 

À un moment donné la petite odeur de malabar rigolote, elle cache quand même un vice assez nocif. Le but du jeu ça a été de changer le formule pour arriver à un truc qui passe à l’arrache au contrôle Reach. Et pour justifier le sentiment que la qualité du spray est pourrie, on te change le design avec une écriture graffiti histoire de bien monter la tête aux consograffeurs.  Avec un slogan à la mord-moi l’noeu genre c’est une révolution. On en profite pour remettre 20 cents en passant! REACH c’est la terreur des mouches à brun ! 

Je comprends ceux qui distribuent ces grandes marques c’est vraiment un bon filon et de toute façon si c’étaient pas eux ça serait quelqu’un d’autre. Ce que je ne comprend pas c’est les petits shops soumis qui leur en achètent et qui sont destinés à fermer rapidement. J’ai toujours dit si t’es pas content tu vas à Lille.

Mes sprays ont au contraire la petite pastille Reach(yeah baby !) car elles ont été conçues autour de ça, ce qui fait que chaque formulation qui sort est meilleure que l’ancienne, il y a une ligne directrice. D’ailleurs les clients me le disent c’est de mieux en mieux. Un jaune acrylique qui couvre sans plomb, sans saloperies dedans fallait le faire !

En parlant de marketing poncé, je vous conseille l’étiquette Spray Max tellement moche pour une spray superbe ou la gamme Spray Tec, les sprays qui servent à rien. (Le spray démarre moteur champion toute catégorie avec sa jolie photo de moteur, l’étiquette faite sous publisher…t’sais le nom de la spray t’as l’impression qu’elle va te sauver la vie si ton moteur crame sur l’A1. Au final c’est juste de l’éther. Spray plastifiants documents avec un permis de conduire pas mal non plus. La spray pour séduire les trafiquants de faux…).

voir http://www.canz.fr/blog/58-ironlak-rumeurs-et-verites pour quelques infos récentes sur tout ceci...

Ah bah voilà de l'info! Castorama a récemment changé sa gamme de sprays d'ailleurs, et a importé ce qui me semble être des sprays us, type Krylon, et v'là le warning sur l'étiquette! D'ailleurs elles ne sont même pas sur leur site, ça sent la grosse carotte au niveau de la législation.

Donc autrement dit, tu confirmes que d'ici peu de temps la spray(type 94) sera à 4 euros dans les grandes villes(elle est dejà à 4,20 ou 4,50 dans les petites à priori), et que les formulations vont drastiquement changer?

Hier l’État à voté une écotaxe spéciale pour les produits chimiques. Ajoute à cela la TVA qui grimpe en janvier, certaines marques vont pas être loin du compte.

En fait c'est un peu illogique mais le meilleur moyen d'être dans les clous c'est de faire venir hors UE. Comme ça à la douane ils te REACH Control d'entrée de jeu. Une fois que la spray est enregistrée au protocole t'es tranquile. Tandis que dans l'espace Schenghen les contrôles ne sont pas encore mis en place sur ce qui est produit.
Ce qui fait flipper c'est l'écotaxe. Genre en Suisse ça se fait déjà depuis un moment, sur certaines sprays tu dois ajouter plus d'un euro de taxe. Les sprays sont hors de prix.

Après en restant plus concret ça va être une question de lobby, les petits vont douiller et les gros vont certainement éviter. Je pense que les prix dans les grandes villes sur les first-line brands vont titiller le 4 euros d'ici peu en effet. J'espère me tromper.
Ceux qui ne vont pas la changer risquent de prendre des pénalités sous formes de taxes. Va falloir être créatif et plus digguer que jamais !

Et que penses-tu de l'automaticité dans sa propre publicité? Aujourd'hui les mecs filment et photographient tout, et le commercialisent derrière. Ça manque de spontanéité non?

Pour la question de la promo : tout le monde aujourd’hui dispose d’un APN, ils sont partout même le plus pourrave des téléphones genre mobicarte ou encore sur les tablettes pour enfant. Quand c’est sorti c’était pas accessible au commun des mortels. Je me rappelle qu’en 2001 j’allais sonner chez mon voisin et lui demandais si il voulait bien venir avec moi prendre mes tags, graffs en toff, car j’avais souvent pas de jetable au bon moment. Je trouvais ça formidable comme objet à l’époque. Genre photos infinies, pas besoin de faire développer, pas de frais, pas la parano du mec chez qui tu fais développer en mode dénonciateur. Je trouve que l’APN a changé complètement le graffiti jusqu’à son essence même.

Avant l’APN t’avait intérêt à te grouiller et te démerder pour revenir avec un jetable avant que quoi que ce soit arrive à ton taff. T’en dormais plus la nuit, il te fallait ce souvenir pour plus tard. Et si t’avais géré une photo, encore fallait-il qu’elle soit bonne ou que la pellicule ne foire pas. Le côté éphémère du graff. Tu te faisais repasser une pièce que t’avais pas eu en toff, ou que t’avais pas fait développé c’était triste pour toi, de quoi bien te mettre en rogne. 

Voila que maintenant, il est possible de prendre 200 000 photos de ta pièce du début jusqu’à la fin et de la partager pour que tout le monde la voit en un clin d’œil. Tu perds le caractère exclusif de ton travail, et je dirais même le toyage de ta pièce n’a plus du tout la même connotation, vu que TOUT le monde a vu ta pièce, elle est archivée, classifiée, historiée. T’as quand même la rage mais c’est pas pareil. 

Du coup tu vois, la culture graff puriste est dépassée par la technologie. LE MEGAPIXEL KILLED LE GRAFF. Tu vois même des chromes de la région en photos online, et un jour tu passes devant tu te dis : ah c’est ça la pièce que j’ai vu sur BPM, c’était donc ici.

C’est donc assez compréhensible de mettre ses propres photos sur le net afin de garder l’exclusivité de son taff vu qu’il risque d’être posté par quelqu’un d’autre, enfin pour les terrains en tout cas. Pour le reste je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’auto promo juste un coup de temps en temps sur les forums. Plus la technologie avance plus l’instantanéité suit.

Le luxe aujourd’hui ça serait de trouver un spot qu’on connait pas, mettre un blaze qu’on connait pas, prendre la photo avec un jetable, et que ton meilleur pote tombe sur ce spot un jour par hasard et te dise hey gros j’ai vu un truc de toi. Bon si le mec l’a mis sur Instagram tu coupes les ponts !

Mais si tu regardes bien la technologie ne tue pas que le graff, elle tue l’amitié, la spontanéité, la motivation, ta jeunesse, ton temps. 

C’est le mal.

J'ai lu ce matin que dans les années 80 un français prenait 100 photos par an en moyenne, et aujourd'hui c'est 20 000! J'vais encore faire le réac' mais j'pense que trop de facilité tue la créativité. Les mecs ont même pas le plaisir de prendre leur photo, j'veux dire ils le font avec leur Iphone-godemichet-tournevis-presse-purée-blah-blah-blah, et à côté de ça t'as les mecs qui ont des appareils à 15 patates qui te
font des photos tellement parfaites qu'elles enlèvent, je trouve, la magie du truc, le côté flou, un peu passé...bon j'dis pas après ça tue honnêtement, la qualité actuelle est mortelle mais j'ai plus de frissons devant une photo old-school. Et ça en tout. J'ai un livre avec des photos du Niagara gelé, genre en 1900, j'peux les regarder 1h, elles me transportent. Mais à l'époque c'était autant une mission de peindre que d'avoir une photo correcte. Aujourd'hui la photo est dépassée, faut filmer.

Je me demande si les jeunes de maintenant seront nostalgiques de leur technologie dans 15 ans...

Au fait, justement, en ce qui concerne le World Wide Web on te voit plus. Plus de Bpm, plus d'articles, plus de conversation instantanée, même plus un coup de gueule ! As-tu abdiqué?

Comme à chacune de mes disparitions, virtuelles ou réelles, i'a une séparation amoureuse là-d'ssous...qui me fait prendre conscience de mon aveuglement, de mon implication trop importante dans des choses qui ne valent pas autant de peine. Alors je me suis sevré, j'suis allé voir d'autres horizons culturels(même si j'étais déjà touche-à-tout), et j'reviens tout doucement. J'aime bien parce que ça me ''nettoie'' à chaque fois, et ça m'aide à y voir plus clair, à affiner mes goûts. Là j'suis encore plus dans le tag, fuck les pièces, fuck les chichis. Mais Internet, plus jamais, ou alors d'une manière extrêmement contrôlée, au goutte-à-goutte, et en gardant le meilleur sous le coude, pour du papier, du physique.

Il y'a eu Cap Nord(que j'ai d'ailleurs prêté et qu'on ne m'a jamais rendu, à bon entendeur...) qui mettait déjà la barre haute, les blogs, apparemment un Cap Nord 2 qui se prépare... Mais ça ne condensera jamais tout ce que tu as fait, appris, vécu. À quand un truc de malade avec TOUT, genre pas le Graal mais presque?

Genre? Une biographie? T'sais j'traverse une grosse période de doute, autant à une époque j'me suis p'têt pris pour un semi-King, un mec remarquable(de par mon implication, mon dévouement, pas en termes de Style), autant aujourd'hui j'ai vraiment pas le sentiment d'avoir apporté quoi que ce soit de ouf. J'ai le syndrome de l'enfant de médecin j'sais pas...j'avais un grand-père illustre dans son domaine, un oncle psychiatre qui savait tout sur tout, etc. Là hier j'ai vu un mec en Guyane qui avait bâti une cabane de malade dans la canopée, au milieu de nulle part, pour étudier et protéger la faune locale, ça m'a laissé pantois, faites des panels les mecs vous êtres trop fous...à côté d'ca j'suis l'seul mec sans amende que j'connaisse, l'un des très rares à être encore là depuis 1996(et par là j'entends dehors, sur les murs). Mais un livre sur ma vie ouais pourquoi pas au final, j'ai toujours dit que j'f'rais un livre comme FUZZ, où j'lâcherais tout, photos d'enfance, basket, meufs, trahisons, trash-talking, les points sur les i quoi. Mais là j'ai besoin d'être peace, de vider complètement ma tête, de voir la Neige, les Nuages, et d'oublier mes 33 dernières années quelques temps.

Pourquoi pas un livre de ta propre interview histoire de te tirer les vers du nez. Une fois tu parlais d'un monsieur qui est décédé et qui tenais une boutique. Il est parti avec ses secrets. Ça me fait penser : tu te rends compte le nombre de gens qui ont dù emporter des trucs de fous avec eux. Qui n'ont jamais été publiés, qui sont morts en période de guerre alors qu'ils écrivaient le roman du siècle, j'imagine qu'on est passé à côté de sacrés trucs.

Forcément...l'État et les historiens ont lancé un appel à contributions pour le centenaire de la Guerre de 14...ça me fait rire...l'un des plus grands carnages de l'Humanité, inutile(comme la plupart des guerres tu m'diras). Pour que les gens fouillent leurs greniers, les maisons de leurs grands-parents, etc. Et ça à l'échelon européen! Le kiff dans la vie malheureusement c'est de désirer, c'est le moteur, en Amour, matériellement...j'avais trouvé un équilibre qui m'avait fait me détacher de tout ça, et badaboum, une vie par terre. Donc bon là j'essaie juste de tenir debout, j'verrais plus tard. J'ai déjà trop raconté, et même si je peux être le mec le plus bavard de la Terre, là j'en ai pas, plus, la force.

Je t'ai déjà observé quand tu venais au shop, tu as une curiosité compulsive. Genre tu regardes un peu ce que j'ai en fin de série, une demie-heure plus tard t'as déjà tout trié tous remis en ordre, sélectionné les meilleures pour toi : rangement gratis! Tu connais tous les noms à la noix du Vert Patagonie, Rouge Tornado : "Ah ça c'est une Miami Blue". On connait tous la sensation dans un musée de se dire que derrière ces putains d'accès réservés il doit y avoir des trucs trop bien. C'est ma définition du graffiti, au final plus d'exploration qu'autre chose, ouvrir les portes, découvrir des trucs, se sentir privilégié, mourir de peur parce que tu croises un mec dans un micro no man's land, s'imaginer qu'on finira par trouver un coffre de Louis d'or ou des billets planqués.

Ouais ça c'est mon côté "un peu" maniaque, même chez Carter Cash j'leur rangeais leur palette de fins de séries Kwasny dans l'ordre du nuancier, sans même vraiment m'en rendre compte...

Parles-moi de Lens, comment ça a évolué depuis l'ouverture du Louvres il y a quoi, un an? Plus?

Lens c’est mon fleuron, mon nectar, ma terre fertile comme le pensait Decrombecque, le Ataturk local.  

On est au cœur du microcosme bassin minier.  

Mes parents et la plupart des gens que je connais de Lens, ont grandi dans les corons, les cités minières portant des numéros, «les fosses». Elles existent toujours, et tu peux entendre des vrais Ch’ti dire encore «j’va al fosse quat». 

Ça fait rire les gens de passage. Cela dit, nous ne parlons plus patois, je dit ça pour les gens qui vont lire cet article et qui ne sont pas de la région. C’est juste qu’on s’est trop amusé à le faire à l’école et que ça nous est resté parfois dans certaines phrases, ça ajoute même de l’effet à ce qu’on dit. 

Pour en revenir à ces fameuses cités, ce sont les maisons en brique rouge le plus souvent groupées par deux qu’on voit absolument partout. Tout cela plus le site du 11/19 sont maintenant inscrits au patrimoine culturel de l’Unesco. 

À première vue c’est cool. Mais ça me laisse un peu pensif.  

En discutant avec des gens j’ai remarqué qu’ils croient qu’on est fiers de nos terrils, de nos chevalements, et de nos baraques rouges. Les gens pensent que c’est le folklore du Nord et qu’on est limite nostalgiques. Là on est pas d’accord, les mines ça a été terrible, ça a été peut être la dernière forme d’esclavage légale du pays et POUR le pays. Ils ont fait tourner la France, tous ces gens. 

Je n’ai pas connu mon grand père, et beaucoup d’oncles, pour ça. 

Personne n’est nostalgique de toute cette aliénation. J’ai des photos à la maison, on les voit en bas, les visages fatigués, mais une dignité de fer.

Au final leur rétribution a été une Maison des Mines, un grand piège qui allait se refermer sur bons nombres d’habitants. Une maison dans laquelle la société leur a donné l’illusion de prendre soin d’eux et de leur descendance, et qui au final les a laissé dans une pauvreté et misère sociale imminente. Je peux te dire que lorsque j’entend des «travailler plus pour gagner plus» ou de redresser la France avec l’effort de chacun ça me fait bien rigoler. 

Ces discours de merde, les gens hautains quand je travaillais dans l’informatique juste parce qu’ils viennent d’un meilleur monde social, ceux qui se foutent de la gueule des Artésiens sans raison juste pour assoir leur fausse supériorité, sont ma madeleine de Proust, ça me rappelle les histoires de ma mère, ces photos de gens prisonniers des besoins industriels d’un Pays. 

Sans même parler de droite gauche, dans ma dernière entreprise j’étais peu être le seul contre la peine de mort. Dès que ça touche plus d’un smic et que ça obtient son crédit pour une case, ça devient une merde. 

Et puis re-merde je suis de Lens, j’ai des valeurs et des idées de gauche, je ne fais même pas exprès je suis comme ça. J’ai fait un dépouillement d’élection à Lens, l’UMP n’a eu qu’une seule voix !!! 

Même des partis pourris en avaient plus. 

Alors quand tu entends un collègue qui fait un discours sur l’assistanat et que les 10 autres acquiescent dans l’open-space, t’as même plus envie de débattre. Si c’était si bien de vivre du RSA pourquoi ils le font pas, j’ai jamais compris ça. Ils sont juste insatisfaits de leur vie insensée.  

J’ai choisi d’ouvrir mon entreprise, et de l’ouvrir à Lens pour tout ça, et également n’être tributaire de rien, les éviter tous. 

Alors quand j’entends des mecs râler parce que je casse les prix, parce que une bombe de graffiti ça doit pas être en dessous de autant, ça me fait bien rire. Retournez dans vos quartiers résidentiels vous éclater entre real thugs et laissez les jeunes bosser. Et puis le shop à Lens offre chaque jour des situations ou y’a de quoi rigoler. En plus je suis excentré afin d’esquiver le parking payant pour mes clients(le parking payant à Lens quoi…)

Le Louvre à Lens c’est vraiment avec fierté et honneur qu’on l’accueille. Je n’ai pas encore rencontré de gens contre. Il y a la Galerie du Temps dans laquelle tu remontes le temps au fil des œuvres. Celle-ci ne bouge pas trop. Et puis il y ‘a l’exposition qui change tous les 6 mois, donc c’est cool ça se renouvelle. Les jardins vont être sympa dès que ça sera terminé. Et puis en grattant à droite à gauche on s’en sort encore sans payer. 

Par contre pour les touristes il faut vraiment faire quelque chose, il faut les donner envie de rester à Lens et de visiter. 

Actuellement tu as une navette qui te prends à la gare, qui ESQUIVE le centre par une astucieuse ruelle, te fais passer sous le pont Césarine et tu arrives au Louvre. 

Au final tu reprends ta navette jusqu’à la gare. Dans les pays pauvres souvent ils mettent de grand murs pour faire du cache misère afin que le voyage du touriste soit le plus merveilleux possible. C’est un peu l’effet que ça donne, on a l’impression qu’on nous cache. 

Niveau graffiti, je me suis dis cool, y’a moyen de moyenner un truc. Je suis allé voir un des responsables, qui a entamé la conversation directement avec un «On ne mélange pas les torchons et les serviettes», le genre de truc où sur le coup tu ne sais pas quoi dire et qu’en rentrant le soir tu penses à toutes les façons dont tu aurais pu lui clouer le bec.

Bon et puis il y a le foot, Bollaert quoi! Je suis pas un footeux, je ne connais même pas les noms de tous les joueurs de l’équipe. Mais quel pied, un match à Bollaert, ceux qui y sont venus le savent. Des supporters fidèles, qui sacrifient beaucoup de temps et d’argent pour se retrouver au stade, et aussi des collectifs pour faire des déplacements et des graffitis plutôt bien réussis. Et «Les corons» à la mi-temps, même ma mère m’a avoué qu’elle a retenu une larmichette la seule fois ou elle est venue voir un match. 

Toi qui est un passionné de ce que tu fais, tu serais impressionné de voir l’engouement de certains. Et que dire de Gervais Martel qui fait son grand retour, les supporters qui font tout pour recréer une communion avec les joueurs. Quelle ferveur ! Et les souvenirs de mon père qui m’emmenait au match, ça reste des moments inoubliables dans une vie…

Ça c'est une belle déclaration d'Amour!

Lille suit le même développement, rénovations massives, centre-ville aseptisé et/ou deserté, plus de graffiti la Mairie a gagné la bataille, etc.

Apple, Microsoft, on annonce des grands noms, on se prend pour une grande, mais la vérité reste...Lille est une fausse grande-ville.

Lille ça reste quand même une ville jeune, quand j'y vais-je prends un coup de vieux, y'a des jeunes partout, c'est plutôt positif non? (Je te réponds depuis le shop, y'a juste un mec qui vient de se cracher dessus devant la vitrine HAHAHAHA)

Comment ça se fait que de la fin des 80’s jusqu’à la fin des 90’s tout le monde savait tagguer ?

J'pense pas que tout l'monde savait tagguer. Mais comme c'était plus underground(même s'il y a eu un gros gros effet de mode vers 1988-90) les gens étaient moins nombreux, donc moins de déchets, forcément. Les gens pompaient déjà, mais j'pense aussi que la compét' était beaucoup plus axé sur la qualité que sur la quantité. Et puis il y avait un goût du travail bien fait, pas comme depuis l'avènement d'Internet où tout l'monde pense mériter ses 15 minutes de gloire, quelle qu'en soit le contenu. Tu regardes la musique, l'Art en général, tout est "justifiable". À partir du moment où tu "fais" c'est déjà "bien". Avant si tu faisais de la merde tu te faisais afficher, tu te "tapais la honte", et tu te prenais surtout de baffes dans la gueule, parce qu'il y avait une hiérarchie, un respect des aînés. J'sais pas moi j'sais qu'j'jamais j'ouvrais ma gueule comme tu entends les gens l'ouvrir aujourd'hui...la télé-réalité, les débats où des plus jeunes interviennent...ils ne savent rien, n'ont aucune culture, mais parlent, parlent, parlent. Le but c'est juste de parler plus fort, ou de menacer. Et c'est ainsi qu'ils pensent avoir "raison".

Mais là effectivement, avec le recul, il paraît indéniable que le niveau était plus élevé. J'en ai déjà parlé, mais je pense que tout simplement, on écrivait plus, des lettres, on signait des chèques(quand j'étais p'tit au supermarché j'rêvais de signer comme ma mère tellement elle faisait ça vite et bien). Et ça aujourd'hui c'est en voie de disparition i'a qu'à voir le débat aux USA ou ici sur les ordis à l'école et l'écriture cursive.

J'ai passé ma matinée sur la page West*Old*Tags sur FB, j'étais en extase(yo VISION! :) ) sur tellement de tags...

Un p'tit qui s'y met sérieusement tu lui conseille quoi?

De ne rencontrer personne. De ne pas peindre avec des Mtn. De ne pas regarder Internet. De faire des erreurs mais seul. De peindre au cap d'origine, en s'entraînant, sans relâche. De lire des livres, de regarder des photos, mais pas du graffiti. De se promener, d'être curieux, d'imaginer. De feuilleter Classic Hits et de faire tout sauf ça. De partir de lettres comme il les écrit normalement, et d'y injecter c'qu'il a comme vibes au fond de lui, positives, négatives...

Cools comme conseils. Est-ce que tu aimes bien faire des top 3 (ou 10 ou 20) de pleins de trucs?

J'adore!

Le top 3 gateaux à manger au shop, teintes toutes marques confondues, endroits du 62/59, et pour finir le top3 du kiff.

Aboule une nouvelle question!

Tu penses quoi du hip hop ?

Ouhlala! J'en pensais le plus grand bien étant jeune, même si c'était surtout le rap et le graff qui recueillaient surtout mes suffrages...j'ai été berné par le rap français(avant de me rendre compte rapidement de la supercherie...) quelques années. La danse et le djaying ça me plaisait moins, trop geek, trop renfermé. Rétrospectivement ce qui me secouait vraiment c'était l'énergie. Celle du premier album d'NTM, de celui du Wu-Tang, j'écoutais toujours les chansons les plus rapides, les plus énervées. Pour le "graffiti" pareil, les graffs j'aimais bien, mais j'étais bien plus excité par les getas. Les fat-caps de SLEEK, WUSHU à St Maur qui en une session au bleu nous a traumatisé à vie, BEEN, HERO, et les tags au cap d'origine des mêmes, et de DUKE, ASPIK...
Aujourd'hui j'exècre cette pseudo-culture, débilisante, ras-des-paquerettes, nombriliste.
La danse c'est de la gym, aucune vibe.
Le djaying un truc électronique, qui flirte avec la house et la musique de pub.
Le graffiti, une pratique de mongols qui se croient exceptionnellement doués et uniques.
Le rap, alors là, le fond du panier, des conspirationnistes ou des medefiens en puissance.
J'préfère écouter de la country ou mes classiques de 88-94, mater pour la 1981ème fois Obsessive Funk ou le show-case de Q-Bert et Mix Master Mike aux DMC 1995. 
C'est une grande arnaque le Hip-Hop, un coup marketing americano-français pour la jeunesse et le milieu d'la mode de l'époque.

Une pratique de mongols hahahah laisse moi la matinée pour m’en remettre j’ai recraché mon Brossart tellement ça m’a fait rigoler ! Fou va.

En vérite, ce n'est pas faute d'avoir lu, d'avoir regardé des documentaires, je n'ai toujours pas compris ce qu'était le Hip-Hop. Et quand je demande à des assos de Hip-Hop on me dit toujours un truc différent, et bien sûr le mec qui m'en parle détient la vérité ultime à chaque fois. Ce que je vois c'est que dans les festivals, on est toujours relayés à peindre sur des bouts de plastique ou des bouts de bois, tandis que la danse, le rap, le DJaying s'exerce sans contrainte. Si ce mouvement existe, je trouve que les graffers sont les grands perdants, les mis de côté…le tag je ne t'en parle même pas, personne peut l'encadrer ! T'as des évènements on à vraiment l'air d'être là pour décorer la salle, "faire un fond de couleur pour les vrais artistes qui vont danser et chanter". Ne serait-il pas mieux de faire des évènements centralisés sur le graffiti et greffer du hip hop (entre autres) autour?

D’où ma question : Est-ce que le graffiti est l'ultime liberté, le truc instructurable, impossible à institutionaliser? Est-il en dehors du Hip-Hop(ou toute autre appellation) et pourquoi on nous file si peu et si rarement de murs avec la liberté de montrer la vrai diversité du graff (et du tag)?

Non moi je rappe quand j'en ai envie, je danse, mal, mais je danse, et je mixe. Mais je ne me revendique pas Hip-Hop, juste libre. Pour moi déjà le Hip-Hop c'est juste un état d'esprit, mais qui a été trop longtemps régulé, encadré, légiféré. C'est être funky, vrai, drôle, ET intelligent. Même le terme graffiti me fatigue...c'est devenu un tel cliché...légal ou illégal...

Beaucoup de livres sortent avec du texte. Ce qui me ravit, tu t'en doutes. Pourquoi avoir attendu 40 ans? 

Les bouquins d’avant Internet c’était photos à fond la caisse. C’était un privilège de voir des graffitis venus d’ailleurs, et fallait un max de visu pour pas avoir l’impression d’avoir été dupé sur la marchandise. Là on sature, sur le web y’a eu un moment vers 2002-2004 je dirais où l’on a eu accès à un peu d’images, c’était plaisant mais là on s’en prend plein la gueule. Mon premier réflexe du matin c’est de checker mes mails, supprimer les 800 spams quotidiens de mutuelles santé, assurances vies, «gérez vos impayés», «nous gérons votre site-web» pour me manger ensuite une spammade de photos de graffiti sur mon fil facebook(les groupes, les partages, les re-posts, les pages persos, les pages photos), c’est un flot ininterrompu de lettres, de couleurs, de tags etc. C’est bien mais c’est trop. Par contre on en voit de moins en moins da la rue, mais ça c’est une autre histoire...

Les auteurs ont dù flairer qu’une partie des gens ne peuvent plus s’émouvoir de photos, ils nous faut des anecdotes, des scénarios…et du Voici. Je ne pense pas qu’il ait attendu 40 ans(pour les auteurs), c’est juste qu’aujourd’hui ça se vend. 

De mon côté j’aime beaucoup les blogs, comme le tiens d’ailleurs ou l’on ne se cantonne pas au graffiti 100% puriste et sectaire mais de plus en plus à du touche-à-tout. Les fanzines c’est pas mal aussi parfois, mais faudrait pousser le vice à en faire des objets qu’on se prêterait entre nous.

Les bouquins sont trop ciblés, c’est trop catalogué, même quand il y a de la lecture. Si De Vinci faisait du graff à notre époque, je suis sur qu’il s’inspirerait toujours autant de la Nature, de la vie, du corps humain, de la Science et nous pondrait des récits de dingue, genre une collection de books avec des commentaires concis sur le graff qu’il garderait jalousement !

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